Selon les dispositions de l’article 8 CEDH :
« Droit au respect de la vie privée et familiale
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Par un arrêt rendu le 7 septembre 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a eu à se prononcer sur l’éventuelle violation de la vie privée d’une requérante par son époux et sur l’applicabilité l’article 8 CEDH.
En l’espèce, deux enfants sont nés de l’union de Monsieur, ressortissant portugais, et Madame, ressortissante espagnole. La relation de couple s’étant dégradée, Madame est partie vivre en Espagne avec les deux enfants.
Madame saisit le Tribunal de grande instance de Madrid afin qu’il adopte des mesures provisoires relativement à l’autorité parentale vis-à-vis des enfants, dans la perspective de l’introduction d’une demande de divorce.
Monsieur a déposé une requête auprès du Tribunal de Lisbonne demandant le retour des enfants et la fixation provisoire de leur résidence au Portugal.
Quelques mois plus tard, Monsieur engage aussi une procédure de divorce soutenant que Madame retenait illicitement les enfants à l’étranger et qu’elle avait manqué au devoir de fidélité.
Il déclare avoir découvert sur l’ordinateur familial, par hasard, des messages électroniques échangés entre elle et des correspondants masculins sur un site de rencontres occasionnelles. Il y voyait une preuve de ce que sa femme avait eu des relations extra-conjugales alors qu’ils étaient encore mariés.
Madame demande à ce que les messages soient retirés du dossier ; son mari aurait accédé à sa messagerie sans son consentement et de manière abusive. Leur utilisation a pour unique but de l’humilier, selon elle.
Le Tribunal suprême espagnol a prononcé le divorce des époux ; la résidence principale des enfants a été fixée chez la mère et le père a obtenu un droit de visite.
Madame a concurremment saisi le Procureur près le tribunal de Lisbonne d’une plainte contre Monsieur, pour violation du secret de la correspondance au sens de l’article 194 du code pénal. Monsieur fut mis en examen.
Le juge d’instruction a finalement rendu une ordonnance de non-lieu considérant que l’accès à ces messages avait eu lieu alors que celui-ci était encore marié avec la requérante et que les conjoints partageaient leur vie privée et, par conséquent, leur correspondance. Il n’y a selon lui aucune violation de la vie privée de Madame.
Celle-ci a interjeté appel de cette ordonnance de non-lieu.
La Cour d’appel considère que Madame avait donné l’accès à cette messagerie à Monsieur, cela relevait donc désormais de la vie privée du couple. De plus, elle estime que les messages peuvent être utiles aux procédures de répartition de l’autorité parentale et de divorce. Selon elle, eu égard à la nature même de la procédure de répartition de l’autorité parentale, sont pertinents tous les faits que chacune des parties peut apporter pour démontrer le caractère anormal du comportement et des conditions de vie de l’autre parent.
Cette affaire parvient jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme. Madame invoque la violation, par son ex-mari, de l’article 8 garantissant la protection de la vie privée.
La CEDH considère que le raisonnement tenu par les autorités internes quant à l’accès mutuel à la correspondance des conjoints est sujet à caution, d’autant que tout porte à croire en l’espèce que le consentement finalement donné par la requérante à son mari est apparu dans un contexte conflictuel.
En ce qui concerne le versement des messages électroniques dans le cadre des procédures de divorce et de répartition de la responsabilité parentale, la Cour relève que la cour d’appel de Lisbonne a exclu toute responsabilité pénale du mari pour violation du secret de la correspondance après avoir conclu que la condition d’absence de consentement dans la divulgation posée à l’article 194 § 3 du CP n’était pas remplie.
Enfin, elle considère que les effets de la divulgation des messages sur la vie privée de Madame sont limités puisqu’ils ont été versés dans le cadre de procédures civiles où l’accès au public y est restreint.
La CEDH conclu à ce que l’État s’est acquitté de l’obligation positive qui lui incombait de garantir les droits de la requérante au respect de sa vie privée et au secret de sa correspondance. De ce fait, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.